Bo CARPELAN
Bo Carpelan (1926-2011) est né à Helsinki. Il est le principal représentant littéraire de la minorité suédophone de Finlande, à laquelle appartenait aussi Edith Södergran. Après des études de littérature à l’université d’Helsinki, puis en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, il a commencé à travailler en 1946 comme bibliothécaire à la Bibliothèque de la ville d’Helsinki. Il y est demeuré jusqu’en 1980. Son œuvre poétique comporte une vingtaine de recueils, pour la plupart inédits en français. Carpelan a aussi écrit des romans dont l’impressionnant Axel, évocation de la vie de Sibelius.
Je suis attaché, lié aux vers de Carpelan car ce sont les premiers que j’aie jamais traduits. Au vrai, je n’ai pas appris à traduire le suédois, pas plus que le suédois de Finlande – finlandssvensk – mais, d’un vers l’autre, d’une poésie sa sœur, je crois, je crois bien avoir appris une langue propre - le Carpelan - tant l’œuvre d’un écrivain, par-delà son éclatement en genres et en recueils, a la belle cohérence d’une planète. Comme celle-ci, elle est tissée, striée de veines, de rivières, de courants aériens, dont je suis – si j’ai fait le travail, mais c'est aussi le travail qui me fait – le passeur, et dont vous êtes, vous aussi, les voyageurs, vous qui, de plus en plus, lisez cette œuvre et lui réservez le plus bel accueil. Au sens fort, dans un recueil, un poète se recueille. Une pomme se cueille, un poète se recueille, un lecteur l'accueille. Je ne m’imaginais pas il y a dix ans qu’il me reviendrait – grâce aux éditions Galaade – de traduire la totalité de l’œuvre en vers de Carpelan, soit 21 volumes sur probablement plus de quinze cents pages. Peut-être même est-il trop tôt, à plus de la moitié du chemin, pour tirer des conclusions. Je puis juste dire que, de livre en livre, d’enchantement en surprise, j’ai compris ou cru comprendre l’essence de cette langue Carpelan, ce qu’elle apporte de neuf et de frais. Et j’aime à vous dire, ici, qu’il y a dans ce vœu de tout traduire passé de moi à moi, et de moi à Bo, quelque chose d’un serment de Koufra... Bo a traversé les genres, mais c'est par le roman qu'il a livré son dit le plus haut, je veux parler de son chef-d'œuvre Axel. On y retrouverait, assez caractéristique, cette variation sur les formes longues et les brèves, ici par le tissage entre la narration et le journal fictif de l'ami cher de Sibelius. Les mêmes thèmes, ceux de la poésie, sont là : labilité de l'existence humaine, règne du dehors et des forces cosmiques, même nécessité aveugle et clairvoyante de la création artistique. Outre une histoire intérieure de la Finlande en route vers son indépendance de jeune République, en plus de la relation d'une amitié hors-pair et assez antique par sa forme, Axel propose une réflexion en mots sur la genèse même de l'œuvre d'art et de sa création. Entre doute et accomplissement, avec - je reprends à dessein le terme - les mêmes variations sur le clair obscur, le roman phare et les poèmes créent entre eux des passerelles, des ponts. Portrait du poète en jeteur de ponts, en pontife jamais pontifiant, en « Poëte » au sens vif de créateur. Dans le détail des textes, il est possible de juxtaposer des extraits du roman et des pièces rédigées à même époque - car même au fort de la rédaction d'Axel, Carpelan n'a pas lâché la main du poème – pour établir le lien manifeste, la parenté, la cohérence encore une fois. Le vrai compagnonnage dont il s'agit n'est peut-être pas ma fréquentation imparfaite des poèmes de Carpelan, mais celui qui, encore et toujours, unit ses poèmes à la beauté.
Oeuvres de Bo Carpelan (en français) : Axel, roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini (Gallimard, 1990), Le jour cède, suivi de Bilan poétique intermédiaire, bilingue suédois-français, traduit par C. G. Bjurström et Lucie Albertini (Éditions Arfuyen, 1996), Le Vent des origines, roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini (Gallimard,1997), La Cour (Atelier La Feugraie, 2000), La Source, traduit par Pierre Grouix (éditions Rafael de Surtis, 2002), Dans les pièces obscures, dans les claires (La Feugraie, 2003), L'année, telle une feuille (Éditions Grèges, 2004), 73 poèmes, traduit par Pierre Grouix (éditions Rafael de Surtis, 2005), Telle une sombre chaleur, traduit par Pierre Grouix (éditions Rafael de Surtis, 2006), Le jour frais, traduit par Pierre Grouix (éditions Rafael de Surtis, 2006), Dehors (Diktamina), suivi de Credo de novembre, bilingue suédois-français, traduit par Pierre Grouix (Éditions Arfuyen, 2007), Le titre du tableau peint par Klee, traduit par Pierre Grouix (Éditions Grèges, 2007), Ombre sombre (Galaade, 2011), Anthologie, traduit du suédois (Finlande) par Pierre Grouix (éditions Rafael de Surtis, 2011).
Pierre GROUIX
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : POÈTES NORVÉGIENS CONTEMPORAINS n° 35 |